Exclusif – Mohamed Salem Ould Salek : «La connivence de Paris avec Rabat va à l’encontre des intérêts des Français»
Algeriepatriotique : Algeriepatriotique a révélé que la France et le Maroc cherchent à torpiller le prochain Sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne pour empêcher la RASD d’y assister. Quelle sera votre réaction face à cette manœuvre ?
Mohamed Salem Ould Salek : L’étonnant dans cette alliance de complicité entre la France et le Maroc est que la France est un pays membre de l’Union européenne, laquelle union a accepté de coopérer et d’avoir un partenariat avec l’Union africaine (UA). Ce partenariat est basé sur un principe d’égalité entre les deux organisations et sur une politique de coopération fructueuse aussi bien pour l’Europe que pour l’Afrique. Les Européens ont besoin des richesses et des produits africains, la matière première notamment ; ils ont besoin de vendre aussi leur industrie et leur production. L’Afrique, elle, a besoin de technologie et d’investissement ; et les deux ont besoin d’un monde de paix et de coopération dans la lutte contre le terrorisme.
Le Maroc a essayé de convaincre l’UE de ne pas accepter la République sahraouie sous prétexte que celle-ci se serait absentée volontairement de certaines éditions antérieures. Cela n’enlève rien pourtant à un pays quelconque, que ce soit la RASD ou autre, qui se serait abstenu d’assister au somment, d’autant que d’autres pays se sont eux aussi absentés, et ce, volontairement. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que les anciennes éditions étaient labellisées UE-Afrique. Mais vu que des Etats membres de l’UA et certains pays européens, pour des raisons qui leur sont propres, ont voulu exclure un pays – le cas du Soudan dont le Président était poursuivi par la CPI ou bien lorsque Tony Blair avait refusé que Mugabe assiste à l’un de ces sommets –, le Maroc a essayé, lui aussi, de pousser l’UE à exclure la RASD parce qu’il ne la reconnaît pas.
Le Maroc a dépêché une délégation à Bruxelles pour essayer de convaincre l’UE d’exclure la RASD. Les responsables de l’UE ont rabroué les Marocains, qu’ils ont invités à se référer à l’UA. En Afrique, seule la Côte-d’Ivoire, pays proche de la France, soutient le Maroc.
Comment la France pourrait-elle casser le consensus africain pour tenter d’écarter la RASD de ce sommet ?
Elle ne peut pas. C’est une décision de chefs d’Etat. Une décision unanime. Ce n’est pas la France qui peut la casser. La France va essayer de convaincre de ne pas accepter la RASD, alors qu’un pays hôte doit être neutre et traiter les participants, qu’ils soient africains ou autres, sur un pied d’égalité. Chaque organisation invite ses membres. Et ne doit pas voir ces deux organisations de manière échelonnée. Il n’y a pas de suprématie d’une organisation vis-à-vis d’une autre. Et nous espérons que la France ne verra pas, à partir de Paris, que l’Afrique est tout à fait en bas. C’est comme cela qu’elle se comporte. Les dernières déclarations du ministre français Le Drian à Rabat démontrent, malheureusement, une certaine tendance de certains dirigeants français à naviguer à contrecourant et lier leurs intérêts et les intérêts de la France à la monarchie marocaine contre les aspirations et la volonté de toute l’Afrique. Qu’ils assument cette lourde responsabilité ! Mais, nous sommes convaincus que ce sera un échec.
Est-ce que Le Drian a fait ces déclarations uniquement pour contenter les Marocains ? Dans la réalité et dans ses discussions avec les Marocains, il leur a conseillé d’être apaisés et de comprendre que la France ne peut faire cela, ou bien est-ce que réellement il le dit parce que la France est engagée avec le Maroc pour convaincre la Côte-d’Ivoire ? Si jamais cette dernière prend le risque de ne pas accepter la participation de la RASD, il n’y aura pas de sommet à Abidjan, tout simplement. Nous avons la capitale de l’UA, Addis-Abeba, qui peut accueillir le sommet ainsi que cinquante-quatre autres capitales dont, au moins, quinze seraient enchantées de l’accueillir. Il n’est pas obligatoire de tenir ce sommet à Abidjan si la Côte-d’Ivoire n’est pas disposée, pour une raison ou une autre, à le faire.
Vous êtes affirmatif ?
Oui, je suis affirmatif. Ce sera un débat très intéressant et important. D’ailleurs, le 16 de ce mois, nous serons à Addis-Abeba pour discuter de ce sujet précisément. Il y a une disposition que nous avons prise, en janvier dernier, qui stipule que le pays qui n’est pas disposé, pour une raison quelconque, ou qui ne se conforme pas aux décisions de l’UA sur la question du partenariat fera l’objet de sanctions, dont l’interdiction de recevoir des réunions de l’UA ou des réunions de partenariats. Les choses sont très claires sur le plan légal et juridique.
On ne peut pas dire aujourd’hui que la Côte-d’Ivoire n’accepte pas la participation de la RASD. Ce sont des spéculations du Maroc. La Côte-d’Ivoire n’a jamais dit cela, bien au contraire, elle a informé la Commission de l’UA qu’elle allait recevoir tous les Etats sur un pied d’égalité. D’ailleurs, le pays siège d’une rencontre signe un mémorandum d’entente avec l’organisateur, qui est l’UA, sur toutes les modalités. Le pays hôte ne peut prendre une telle décision politique grave pour exclure un Etat. Imaginez, à titre d’exemple, les Etats-Unis, qui reçoivent sur leur sol les Nations unies, déclarer ne pas vouloir recevoir tel ou tel pays ; c’est une chose impossible. D’ailleurs, beaucoup de pays sous sanctions américaines viennent à l’ONU. Je le répète, la Côte-d’Ivoire n’a jamais dit cela. Ceci est le vœu du Maroc et de la France qui a fait ces déclarations, très surprenantes d’ailleurs. Nous tenons à dire que cela démontre que c’est la France qui est malheureusement derrière ce conflit, depuis le début, entre deux pays.
Sachant que certains pays africains restent inféodés à Rabat et à Paris, ce plan machiavélique a peu de chance de réussir, n’est-ce pas ?
Ces pays africains sont minoritaires, se comptent sur les doigts d’une seule main et leur argument est battu en brèche. Premièrement, il y a une décision de chefs d’Etat et une stratégie de l’UA. La décision des chefs d’Etat dit que tous les membres de l’UA ont le droit de participer à une réunion de partenariat, que ce soit des sommets, des foires ou autres. Quant à la stratégie, elle dit d’accepter tout le monde. C’est la stratégie d’une intégration graduelle sur le plan économique et politique, dont l’Afrique et les Africains ont fait le serment de travailler ensemble pour que l’Afrique prenne la place qui lui revient sur la scène internationale, et dans ce cadre-là, l’UA doit travailler dans ce sens.
Il y a un élément nouveau qui renforce cette tendance. Le Maroc a regagné – ce que disent les Marocains – la famille africaine. Et là, il y a une contradiction : comment le Maroc s’assoit avec la RASD au sein de l’UA et ne veut pas que la RASD soit présente avec lui dans d’autres enceintes ? Les arguments de ces trois, voire cinq pays, qui sont très connus pour être inféodés à Rabat, sous influence française, se trouveraient dans la difficulté de changer la position de l’UA ; ils ne peuvent le faire et ne le feront pas. Nous avons la certitude qu’ils ne le feront pas ; ils ne font que gesticuler, comme l’a fait Le Drian, mais ils n’iront pas au-delà. Le droit et la légalité sont du côté de l’UA, de tous ses membres, y compris la République sahraouie.
Le service de presse de l’ONU a été éclaboussé par une grave affaire de manipulation d’un compte rendu. Que s’est-il passé exactement ? Une enquête a-t-elle réellement été ouverte ?
Le département de l’information est truffé d’anciens journalistes et de stagiaires français et marocains qui se sont emparés de ce service pour faire n’importe quoi. Ils ont dénaturé, dans les comptes rendus qu’ils font, au sujet des débats des différentes commissions et même de l’Assemblée générale, les interventions d’un certain nombre de pays.
Par exemple, dans un discours, ils font ressortir ce qui leur plaît, ou moins fort quand il s’agit d’un thème qu’eux-mêmes, en tant que personnes ou leurs pays, ne veulent pas faire ressortir, comme ce qu’ils ont fait pour les pétitionnaires (une dizaine) – dans le cadre de la décolonisation – favorables à la lutte du peuple sahraoui et qui sont venus témoigner. Un fait d’autant plus grave qu’ils ont attribué des déclarations à des personnalités représentant des partis politiques, des parlementaires, des ONG et même au représentant du Front Polisario à qui ils ont attribué un discours qui n’était pas le sien. Ils ont violé la mission qui leur a été assignée. Les Etats membres ainsi que les pétitionnaires et les personnalités qui ont assisté à ces débats de la 4e Commission ont protesté par écrit et oralement. Le département du secrétariat général de l’ONU a diligenté, en ce sens, une enquête. Mais, une enquête sur quoi ? Nous connaissons les personnes (qui sont derrière ces manipulations), et elles ne s’en cachent pas. Cela démontre la nervosité des Marocains et à quel point ils sont désespérés.
Paris et Rabat investissent toute leur énergie à l’ONU pour empêcher un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental. Le Comité de décolonisation de l’ONU est-il habité par la même énergie pour mettre fin à la colonisation du Sahara Occidental ?
Le jeu sur la scène internationale est connu. Il y a ce qu’on appelle la communauté internationale qui est régie par des principes ; le droit international, ou ce qu’on appelle aussi la légalité internationale, et il y a, malheureusement, le jeu des grandes puissances qui, au niveau du Conseil de sécurité, font des actions où chacune mène une politique, qui n’est pas spécialement conforme au droit, mais qui est conforme, plutôt, à ses intérêts. Dans ce cadre, la France, qui est la protectrice de Rabat, est celle qui a armé le gouvernement marocain pour envahir notre pays ; les armes sont françaises, et les experts français ont, dans le cadre de cet accord de coopération militaire entre la France et le Maroc, la mainmise sur l’état-major durant même les années de guerre. Ces officiers français ont construit le mur de défense marocain qui partage notre pays et notre peuple, et c’est la France qui, depuis 1991, bloque l’organisation du référendum.
A chaque fois que le Maroc fait un blocage, la France le défend et donne des justifications erronées et contraires à la réalité. La France a usé de son poids en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, lequel conseil est celui qui dirige la Minurso. Il faut savoir que toutes les missions créées par les Nations unies dans le cadre du maintien de la paix ou d’une action pour une solution politique pour un pays, c’est le Conseil de sécurité. L’Assemblée générale est, elle, chargée de la question de la décolonisation, et quand il s’agit de l’action, c’est le conseil qui s’en occupe. Les non-permanents sont des secrétaires d’Etat qui n’ont pas de force, alors que les permanents sont ceux qui ont les moyens et le veto.
Je le dis et le répète, la France bloque l’indépendance de notre pays. Je l’ai dit encore à la conférence de presse d’hier : c’est la France qui a poussé le Maroc à envahir notre pays en 1975. La France ne voulait pas voir un pays africain de langue arabe et espagnole dans une région que la France considère comme région francophone. Nous sommes des intrus. Ceci n’est pas nouveau. Déjà, en 1884, après Berlin, la France ne voyait pas d’un bon œil que l’Espagne s’approprie une terre qu’elle considère comme sienne. Ensuite, la France est sensible et même allergique à tout ce qui est libération et mouvement de libération. Elle est allergique à l’indépendance et aux indépendants. La République sahraouie, aux côtés d’une Algérie indépendante, cela renforcerait cette tendance maghrébine indépendantiste et souverainiste. Alors que le Maroc est toujours un protectorat, politiquement et économiquement, de la France.
Voilà pourquoi la politique française au Maghreb est toujours une politique coloniale. La France voit que la lutte du peuple sahraoui pour son indépendance est un prolongement de la lutte algérienne et de la lutte africaine pour l’indépendance et la souveraineté. Et c’est dommage que la classe politique française n’ait pas compris jusqu’à maintenant – ou ne veut pas comprendre – que l’intérêt permanent de la France et du peuple français, qui a des attaches et des relations très profondes avec le Maghreb, doit être lié à des valeurs permanentes, à des valeurs que l’humanité partage. Cette connivence avec le régime alaouite marocain va à l’encontre, à moyen terme, des intérêts stratégiques de la France. Dans le cas du Sahara Occidental, cette position est très mauvaise parce qu’elle lie les intérêts de la France avec l’agression, l’occupation.
La France a aidé militairement le Maroc pour envahir notre pays. Lorsque le Maroc a signé l’accord de paix avec nous, accepté l’organisation d’un référendum et ensuite a fait machine arrière, c’est la France qui l’a soutenu au Conseil de sécurité. La France a, donc, aidé le Maroc à interdire à la Minurso l’organisation du référendum. Et c’est la France toujours qui refuse, au Conseil de sécurité, à la Minurso de superviser les droits de l’Homme dans le cas du Sahara Occidental, alors que la France intervient militairement pour faire imposer, soi-disant, les droits de l’Homme et la démocratie dans plusieurs pays. Elle insiste pour installer des régimes démocratiques.
Vous y croyez ?
Non, moi je soulève les contradictions entre le discours officiel de la France et la réalité. Dans le cas du Sahara Occidental, l’opération référendum est une opération démocratique. Pourquoi la France refuse-t-elle aux Sahraouis de s’exprimer librement et demande à d’autres pays de tenir des élections libres ?
Qu’est-ce qui gêne justement la France dans la décolonisation du Sahara Occidental ?
Laissez-moi terminer d’abord. Il y a aussi le fait que c’est la France qui a tracé les frontières du Sahara Occidental avec l’Espagne. Voyons la France dans le cas des frontières africaines, parce que c’est un principe obligatoire et de base de l’existence même de l’organisation de l’Unité africaine et de l’UA. La France est intervenue récemment au Mali pour dire qu’il faille respecter l’intégrité territoriale du Mali, mais, dans le cas du Sahara Occidental, cette intégrité territoriale n’existe pas pour des pays voisins du Maroc. Parce que si la France aide le Maroc à occuper illégalement le Sahara Occidental, elle l’encouragera ainsi à continuer de mener une politique grave et expansionniste contre ses voisins. Une multitude de contradictions de la part de la France qui se dit patrie des droits de l’Homme et de la démocratie, et l’Algérien en connaît un bout de cette démocratie ; il a souffert dans sa chair de cette colonisation qui a massacré des centaines de milliers d’Algériens.
Malheureusement, cette politique est un obstacle majeur à notre indépendance et à l’exercice par le peuple sahraoui de son droit à l’autodétermination. Les déclarations de Le Drian dévoilent une tendance à nous dire que le nouveau gouvernement de Macron va peut-être poursuivre la même politique que ses prédécesseurs, et cela nous démontre aussi une politique française qui va à l’encontre de la paix dans la région et qui veut que la région du Maghreb et de l’Afrique, du Nord à l’Ouest, continue dans la déstabilisation. Sont-ce là les intérêts de la France ? Il faut se poser la question. La France a besoin de maintenir cette déstabilisation permanente pour pouvoir maintenir ses intérêts. Si, réellement, les Français s’inquiètent pour la paix et œuvrent pour le bien-être du Maroc, ils doivent conseiller à ce dernier de respecter ses frontières et de nous demander ou bien demander à l’Algérie peut-être, à l’Espagne aussi, à la Mauritanie et à la Tunisie et à tous les pays voisins de se comprendre et d’aider le Maroc à se stabiliser.
L’Europe n’a pas pu s’unir sans que la France et l’Allemagne acceptent l’existence de petits Etats comme Andorre et le Luxembourg ou la Hollande. Si la France encourage le Maroc à continuer une politique d’expansionnisme et de mise en cause des frontières de ses voisins, dans ce cas-là, la France a des mobiles politiques. Est-ce que cela est conforme aux intérêts stratégiques de la France et aux déclarations publiques affichées par le gouvernement français ? Nous disons, non !
La France continue de mener une politique coloniale, et ce n’est pas uniquement dans le Maghreb ; la France détient toujours, en effet, des colonies en Asie et en Amérique latine, aux Caraïbes, dans certaines régions. Nous sommes obligés de dénoncer aujourd’hui ce fait et de dire que la France continue de mener une politique coloniale qui va à l’encontre de tous les principes du droit international et des principaux objectifs de la Charte de l’ONU. La France a l’obligation de ce fait, en tant que puissance membre permanent du Conseil de sécurité, de conjuguer ses efforts avec ceux de la communauté internationale pour la décolonisation du Sahara Occidental, et ce, sur la base du chapitre 11, article 63 de la Charte des Nations unies ; elle a l’obligation de respecter les décisions des organes de l’ONU et également de ce que les Marocains et nous avions signé sous les auspices et la garantie du Conseil de sécurité.
Pour ce qui est de la révolution du Rif, où en est-elle aujourd’hui ?
Je préfère que vous posiez cette question aux Rifains, parce que nous n’avons aucune volonté ni intention d’interférer dans les affaires internes du Maroc, mais étant donné que celui-ci occupe une grande partie de notre pays, nous pouvons dire que tant que le Maroc continue cette politique, ce n’est pas uniquement les Rifains qui se révolteront, il y aura les Soussis et tous les Marocains qui sont plus pauvres et plus ignorants. Parce que les Alaouites utilisent l’agression contre notre pays pour bastonner les Marocains et différer toutes les revendications sociales et politiques. Les Marocains veulent être aujourd’hui comme les pays voisins : des citoyens. Et aujourd’hui, les Marocains ne trouvent pas d’autres issues que d’aller par centaines et milliers rejoindre les groupes terroristes. 80% de la jeunesse marocaine veulent émigrer en Europe. Ce qui provoque périodiquement des soulèvements par-ci et par-là et vont s’aggraver parce que le Maroc s’appauvrit. Le Maroc est classé derrière tous les pays de la Ligue arabe et de beaucoup de pays africains. Il est à un rang très reculé dans le cadre du développement humain, selon les statistiques de la Banque mondiale et les analyses des Nations unies.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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