Pourquoi les pays de l’Afrique de l’Ouest se méfient du régime de Rabat
Par Amine Ben – La diplomatie marocaine, pilotée par le monarque Mohammed VI en personne, va d’échec en échec, pour ne pas dire d’humiliation en humiliation. Ainsi, après son échec cuisant au Sommet UA-UE d’Abidjan, qui a vu la participation de la RASD se concrétiser, au grand dam du souverain marocain et de son parrain français, le Maroc se voit fermer la porte de la Cédéao.
La propagande marocaine, en effet, fait un grand bruit autour de cette hypothétique adhésion qui était prévue pour ce samedi 16 décembre lors du 52e sommet de la Cédéao à Abuja. Une adhésion renvoyée aux calendes grecques, le Nigeria, poids lourd au sein de cette organisation, y étant fortement opposé et ayant renvoyé toute décision à un sommet extraordinaire des chefs d’Etat pour le début de l’année 2018.
Un os jeté à la diplomatie marocaine et, surtout, à un monarque qui pensait qu’il était en mesure de faire l’unanimité pour adhérer à une communauté avec laquelle le Maroc a très peu d’affinités, comme n’ont cessé de l’affirmer d’influents groupes du secteur privé nigérian, mais aussi d’anciens diplomates et des universitaires vigoureusement opposés à l’adhésion du Maroc.
Pour le secteur privé nigérian, tout comme pour nombre d’entrepreneurs sénégalais, qui ont commandé une étude sur les implications économiques de l’adhésion du Maroc, la crainte est forte de voir les entreprises marocaines se faire le relais de multinationales françaises.
Au Nigeria, l’Association des industries manufacturières a fait pression sur les parlementaires et certaines voix ont appelé à une sortie du Nigeria de la Cédéao en cas d’adhésion du Maroc, y voyant un coup tordu de certains pays francophones de la communauté. En outre, la question de l’appartenance du Maroc à l’espace géographique et géopolitique ouest-africain demeure posée, d’autant que le Maroc n’a aucun prolongement naturel vers l’Afrique de l’Ouest et a voulu faire l’impasse sur sa colonisation du Sahara Occidental.
Les économistes rappellent que la Cédéao s’est affirmée depuis les années 1990 comme une organisation d’intégration politique. L’approfondissement laborieux de cette intégration ne peut se faire que dans un espace géographique bien délimité. «Ouvrir la porte à l’adhésion de nouveaux Etats de régions voisines, fussent-ils historiquement proches et solidaires, reviendrait à faire courir un risque majeur de dilution de la dimension politique fondamentale de la Cédéao et de perturbation de l’architecture institutionnelle de l’Union africaine, censée s’appuyer sur des communautés régionales aux contours bien définis», fait remarquer un expert africain.
Cet expert observe également que, selon le protocole de 2001, «l’Etat est laïc et demeure entièrement neutre dans le domaine de la religion ; chaque citoyen a le droit de pratiquer librement, et dans le cadre des lois en vigueur, la religion de son choix en n’importe quel endroit du territoire national». Or, selon la Constitution marocaine, «l’islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes, mais l’Etat marocain n’est pas laïc et n’a pas vocation à le devenir». Pour lui, «soit le Maroc sera un pays membre dispensé de certaines obligations, soit son entrée à la Cédéao fera reléguer au second plan la dimension politique de l’intégration régionale au profit des seules considérations économiques et commerciales».
Autant dire que le Maroc risque d’attendre longtemps aux portes d’une organisation à laquelle il pensait adhérer en distribuant des prébendes. Qui plus est, en décrétant la fin de l’UMA, le Maroc a lâché la proie pour l’ombre. Une tendance actuelle de la diplomatie royale, faite de coups d’éclats, de gesticulations et d’effets d’annonces sans lendemains.
A. B.
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