Un livre révèle comment le Makhzen corrompt des dirigeants sud-américains
Par Bachir B.-A. – Faisant partie du lot de nations auxquelles on a octroyé l’indépendance et ne pouvant faire valoir un passé révolutionnaire en guise de «soft power» et de source de prestige, la politique du Maroc en Amérique du Sud, en cette fin des années 1960, se limite au strict minimum, soutenant même – allégeance oblige – les dictatures militaires installées par la CIA et se prêtant avec zèle aux missions les plus improbables, et ce contre le vent de liberté soufflant un peu partout dans ce continent, dont les dirigeants clament ouvertement de vouloir s’inspirer de la lutte du peuple algérien pour leur indépendance. Ce qui provoque chez les dirigeants marocains un complexe et un début d’obsession maladifs pour tout ce qui touche de près ou de loin à l’Algérie.
Mais la donne change brusquement à partir de 1975 quand de nombreux Etats reconnaissent la RASD et décident de soutenir sa lutte pour l’autodétermination et l’indépendance. Rabat, pris de panique, active ses réseaux et obtient auprès de ses parrains des soutiens multiformes à des Etats en particulier, en échange de relations diplomatiques et à leurs gouvernements pour les amener à modifier, voire à cesser leur soutien à la cause sahraouie. Un chantage qui ne dit pas son nom, appuyé par certaines chancelleries qui s’offusquent lorsqu’on ose mettre en doute leur soutien sincère à la voie diplomatique tracée par les Nations unies.
Mais cette politique du chéquier, assez frêle par ailleurs, ne satisfait qu’en partie les tenants de la diplomatie marocaine, les peuples d’Amérique du Sud ayant souffert des mêmes maux, se reconnaissent en majorité dans la lutte du peuple sahraoui, et une certaine propagande, assez médiocre faut-il le souligner, peine à se frayer un chemin convaincant parmi les milieux associatifs de ces pays qui, bien au contraire, maintiennent le cap, bravant obstacles et interdits, et redoublent leur soutien à une cause qu’ils jugent juste et leur ressemblant.
D’où une frustration grandissante des autorités marocaines, minutieusement détaillée et relatée par l’essayiste Fernando De Contreras dans son ouvrage intitulé La Politique du chéquier utilisée contre le peuple sahraoui, en Amérique latine et les Caraïbes. L’on y découvre un modus operandi digne des organisations mafieuses et un recours décomplexé au chantage, sur tous les plans et à tous les niveaux. Exemple illustré parmi tant d’autres, le gouvernement de Saint Kitts et Nevis, qui décide de retirer sa reconnaissance de la RASD en 2007 à l’occasion de la visite de l’ancien ministre marocain des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri, en échange de bourses d’études, de fertilisants et de vacances pour de jeunes écoliers. Rabat accepte, mais point besoin de préciser qu’aucune de ces promesses n’a jamais pu être tenue.
Autre pays et autre tour de valse, le Honduras qui compte un effectif de douze observateurs militaires au sein de la Minurso et qui a promis, en 2013, de rétablir ses relations avec la RASD, fait l’objet d’un intense lobbying de la part de Rabat à travers son consul honoraire, Juan Bendeck, pour tenter de l’en dissuader. Un «généreux» chèque de 25 000 dollars au chapitre de l’aide financière est remis au ministère des Relations extérieures sous forme de téléphones portables et autres gadgets.
Enfin, le cas de St-Vincent et les Grenadines, qui décide de geler sa reconnaissance de la RASD en février 2013, en échange d’un aéroport international, soixante bourses d’études et des fertilisants. Là aussi, point de bourses et encore moins d’aéroport.
Le livre, édifiant à maints égards, renseigne sur des revirements diplomatiques soudoyés par divers subterfuges. Dans sa préface, il est clairement dit que le Maroc sait pertinemment qu’aucun pays au monde ne reconnaît son occupation du territoire sahraoui. La CIJ a déjà exprimé un avis contraire, tout comme le Département juridique de l’ONU, la Cour européenne de justice, les Non-Alignés et l’Unité africaine, parmi de nombreux autres organismes, universitaires et institutions. Il ne lui reste donc qu’un seul moyen : la politique par voie de corruption et une coopération aussi créative que fictive.
L’argumentaire est répétitif, voire lassant, se structurant autour de deux noyaux. Selon le premier, la RASD ne répond pas aux éléments requis pour être un Etat. Selon l’autre, une entité dont l’existence dépend d’un référendum ne peut être considérée comme un Etat.
Ruiz Miguel, un expert en droit international, y analyse le cas singulier de la Colombie. Ce pays a reconnu la RASD le 27 février 1985 et, en 2001, sous la présidence d’Andrés Pastrana, décide de «geler» cette reconnaissance. Le 7 mai 2014, le Sénat colombien approuve à l’unanimité la proposition 160/2014 par laquelle le président Juan Manuel Santos est invité à rétablir pleinement les relations bilatérales entre la République arabe sahraouie démocratique et la Colombie. Pourtant, le Président n’a pas voulu donner suite à cette résolution, finissant par contrarier les associations colombiennes solidaires avec la cause sahraouie, qui n’ont pas manqué de fustiger une approche illégale, car enfreignant la Convention relative aux droits et devoirs des Etats, contenue dans la Convention de Montevideo et qui a été ratifiée par cette même Colombie.
Les professeurs de l’Universidad del Externado de Colombia, Jeronimo Delgado Caicedo et Julian Aandrea Guzman Cardenas, tout en regrettant la posture de leur gouvernement, déplorent également le rôle déterminant et néfaste que joue la France, faisant pression financièrement sur certains pays, notamment ceux des Caraïbes, qui ont accepté de retirer leur reconnaissance diplomatique de la RASD en échange d’une aide financière française.
Le livre ne manque pas de mettre en lumière le vol des ressources naturelles du Sahara Occidental, certifié par l’avis du conseiller juridique des Nations unies, Hans Corell, qui, en 2001, avait conclu que toute activité d’exploration et d’exploitation serait illégale si elle était menée «sans tenir compte des intérêts et des souhaits du peuple du Sahara Occidental».
Tous ces avis et décisions de justice ont poussé nombre d’entreprises d’Amérique du Sud à quitter précipitamment le Sahara, de peur d’encourir de lourdes sanctions pécuniaires.
La dernière partie du livre analyse succinctement la corruption endémique qui sévit au Maroc et ses taux de pauvreté extrêmement élevés, en plus de faire un zoom sur une économie reposant en grande partie sur des secteurs instables, illégaux et non durables, comme le trafic de drogue, le tourisme sexuel, l’immigration et l’émigration, et l’utilisation du terrorisme fondamentaliste comme arme économique et de chantage exercée sur nombre de capitales.
Le livre fournit, enfin, une longue liste d’Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, avec des preuves originales tirées de la documentation interne du ministère marocain des Affaires étrangères et qui révèle que de nombreux Etats d’Amérique latine et des Caraïbes ont reçu des avantages et des cadeaux en échange du retrait ou du gel de leur reconnaissance de la RASD. Cette liste comprenant le Salvador, le Paraguay, le Costa Rica, le Guatemala, la République Dominicaine, le Honduras, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines, Trinité et Tobago, Dominique, Grenade, Haïti, Suriname, Saint Kitts et Nevis, Antigue et Barbades, la Guyane et la Jamaïque.
B. B.-A.
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