L’Algérie rêvée par la jeune littérature

Ammari J’ai rêvé l’Algérie
Chawki Amari, l'un des auteurs de J'ai rêvé l'Algérie. D. R.

Contribution d’Ali Akika – Quand j’eus fini de lire le recueil de nouvelles J’ai rêvé l’Algérie (1), j’ai fermé les yeux pour me représenter ces femmes et ces hommes dont le dénominateur commun est d’être habités d’une sorte de passion dévorante d’un pays, de notre pays. L’univers qu’ils décrivent n’est pas nourri par les bouffonneries du théâtre italien de la Renaissance, ni par l’antique théâtre de la tragédie grecque. C’est un univers pur jus made in bladi. Ces nouvelles sont venues s’ajouter dans mon cerveau, mon grenier à moi où s’entassent mes plus beaux et mes plus douloureux souvenirs du pays. Dans le bled, cette vache de vie réserve au lambda que nous sommes des surprises à chaque coin de rue. Cette vie avec ses heurs et malheurs, avec ses hauts et ses bas, qu’on aime et à qui on demande tout de même de ne pas la quitter sans qu’on assiste à la déchéance des zombies qui ont pourri nos vies : «Abri de chiennes errantes et malades ; fourrière où s’entassent les accidentées de la vie ; cimetière grillagé où palpitent encore des cœurs pleins de haine et de tendresse.» (Sarah Haider écrivain/journaliste.)

Ainsi donc, le nom Algérie envahit les cerveaux de ceux et celles qui ont mal à leur pays. Ce sont des femmes et hommes qui n’ont pas le même nombre de printemps et, cependant, toutes et tous portent la marque de la mémoire d’une terre labourée par la guerre, le terrorisme, la misère et l’absence de la démocratie. Les enfants de ce pays ont une mère qui se fait élire et porte dorénavant la casquette de maire d’une commune. L’écrivain/architecte Merhoum nous décrit un trio ô combien ! symbolique d’une Algérie éparpillée ici et là, qui se reconstitue derrière la mère/maire. Une femme donc qui donne sa chance à un jeune ex-émigré et à une jeune femme «Betbota» (2). Ainsi, rien n’est perdu puisque le narrateur assiste enfin à la concrétisation de son rêve à lui : «Belouizdad, terre de toutes les mémoires, terre de tous les espoirs. J’en ai rêvé. Betbota l’a fait.»

Ce pays, son nom revient dans toutes les nouvelles de cet ouvrage collectif. Dans ces récits de fiction ou documentaire, l’Algérie est présente, non pas sous forme d’indice géographique ou historique, mais simplement de façon obsessionnelle. Elle colle à la peau des auteurs comme une sangsue. L’Algérie est à l’origine de leur fuite éperdue (ici dans les écrits) pour échapper à la chape de plomb qui empêche de voir le ciel la journée, et la nuit de regarder les étoiles. Un pays pourtant gorgé de soleil qui ne caresse pas nos peaux (surtout celle des femmes) de son incomparable lumière méditerranéenne : «Notre pays ne nous a rien donné et ne donnera jamais rien à des prostituées.» (Atiqua Belhacène, critique d’art).

Alors, pour traverser ce champ de bataille où chaque mètre carré de terre peut cacher une mine, alors que les yeux aimeraient savourer les couleurs arc-en-ciel des paysages, personne ne songe chasser les ténèbres et les remplacer par les nuages d’antan pour faire revenir un peu de fraîcheur. Il ne reste alors aux auteur(e)s de ces écrits, pour tenir debout dignement, qu’à rêver. Ô pas de rêves de la fée qui attend son prince, mais de laisser des traces d’écriture qui parlent de leur quotidien, de leurs nuits hantées par des fantômes… pour qu’un jour les futurs habitants sachent les calvaires traversés par leurs ascendants, pour qu’un jour ils fassent alors et, enfin, de vrais rêves. Des rêves de femmes et d’hommes qui se rencontrent pour ouvrir les portes non pas d’un illusoire paradis mais celles de la beauté à construire et à offrir comme un présent à leur bien aimé(e) le passeport du futur pour sortir de l’insoutenable enfermement : «Les pavés et les chemins sinueux connaissent les cris, les, rires, les chants. Devinent le poids de nos pas désabusés. J’entends des mots qui ne riment pas avec mes rêves.» (Habiba Djahnine, poétesse et réalisatrice.)

Rêver la beauté à partir de l’enfermement, tel le pari réussi de ces auteur(e)s. Pari réussi grâce à cette littérature qui n’a pas peur des mots qui défrisent, qui fait appel à ces mots interdits par une morale aux ras des pâquerettes, des mots qui se moquent de la langue riquiqui des analphabètes qui s’autoproclament scribes d’une académie. Ils ne savent pas qu’ils ne sont que des serviteurs des gardiens du Temple. En tout cas cette littérature truffée de mots fort peu usités chez nous ne se laisse pas tomber des mains comme celle qui ennuie parce que sentant la naphtaline. Le lecteur est plutôt content de lire la dénonciation de la violence inouïe que les citoyens lambda endurent, et en particulier les femmes. Les récits sur les douloureuses vies de femmes sont d’une force qui suscite respect et admiration. Les mots de la vie quotidienne sculptés par les plumes de leurs auteures témoignent, ô combien ! du lien qui existe entre les souffrances des femmes, la maltraitance des enfants et le déchaînement de ces agressions maladives qui balafrent des vies dans les rues, à l’intérieur des familles, sur les lieux de travail.

Chawki Amari, dont on connaît les chroniques d’une ironie mordante, ausculte le monde de la presse tombée dans les filets, ici du pouvoir, ailleurs de la finance. Il ne s’inquiète pas pour son avenir, il sait que la machine ne peut reproduire son humour. En bon camarade, il pense à ses collègues qui pratiquent le «vieux» journalisme qui ne peut plus, hélas, rivaliser avec les médias qui se livrent à une entreprise d’abrutissement de la société. Il a tellement raison Chawki. Après le parti unique, le pouvoir de l’argent et la nécessité de plaire à un certain électorat, la marge de manœuvre de la presse s’amenuise. Même des journaux qui étaient des fenêtres d’où l’on pouvait observer et rapporter les bruits de la ville tirent leurs rideaux. De peur sans doute que des opinions encore libres prennent des chemins de traverse et portent préjudice aux miettes de leurs ressources publicitaires. «Je serai peut-être l’un des derniers à être remplacé par une machine parce que celle-ci a encore un problème de recul, et notamment avec l’humour, arme suprême du recul et finalement dernier ressort de l’humain.» (Chawki Amari écrivain, journaliste).

Ce qui est rassurant, c’est de voir, au milieu des champs de la culture abandonnés aux friches depuis belle lurette, surgir des francs-tireurs avec, dans leurs besaces, un roman, un film, un essai, un tableau de peinture qui voyagent et réussissent à franchir des frontières sans l’autorisation des lourdeurs et des laideurs des censeurs, ni l’aval du marché qui ne reconnaît qu’un seul maître, le dieu dollar. Et ces exploits n’ont pas besoin de prix. Il leur suffit de contribuer à construire pierre par pierre des récits pour, qu’à l’avenir, on consacre moins de temps à rêver et plus de temps à aimer, à imaginer, travailler, réfléchir et à hurler à tue-tête : vivons parbleu !

Samir Toumi (écrivain, entrepreneur conseil) a déjà commencé son voyage sans franchir les frontières de l’Algérie, capitale Alger. Il aime bien Alger, sa ville natale qu’il nous fait découvrir rue par rue. Il a le temps maintenant et il le prend ce sacré temps pour nous parler du Hirak, de ses militants. Il termine sa balade en regardant dans son quartier des enfants jouer et clôt ainsi son récit : «Des enfants qui, enfin, récoltent les fruits de nos combats.»

Hajar Bali (poète, romancière) doute de ce qu’elle voit. Dans un jardin public devenu asile pour accueillir les amours interdits : désir infini jamais assouvi, le rêve n’est-il finalement que l’expression du plus total désir d’accaparement. Son héros est victime des détonations de la guerre qui brouille son regard et s’interroge sur la réalité de la scène des jeunes amoureux qui se bécotent sur un banc public (Brassens).

La guerre, encore la guerre, toujours la guerre. Pourquoi se focalise-t-on sur le passé et tourner le dos à l’avenir, se demande Salah Badis (écrivain/journaliste). On a envie de lui répondre, parce que nos nuits sont peuplées de cauchemars, parce que nos rues sont interdites aux femmes, parce que l’espace public est livré à la laideur pour tenir compagnie à la solitude des passants. Dans pareille vie, comment peut-on simplement se représenter la beauté ? Sacrée beauté qui fait rêver, tu nous manques, hélas, trois fois hélas.

A. A.

1- Rêver l’Algérie. On peut le télécharger gratuitement à : 17243.pdf

2- Betbota, sobriquet traduit par l’auteur par femme rondelette. Dans mon patelin, il a un autre sens pas très gentil pour la femme. J’ai écrit à l’éditeur pour savoir si le sens de ce sobriquet était typiquement «algérois». J’ai oublié que nous habitions bled Mickey car j’attends toujours sa réponse. En vérité, je n’ai pas été étonné de sa non-réponse car cette anomalie est «normale». On va encore patienter avant que le normal chez nous détrône l’anomalie. Ce jour-là, on pourra dire que notre pays ressemble aux autres, pas trop tout de même pour ne pas échouer dans celle de la triste banalité du quotidien. Mais plutôt accoster dans des rivages où fleurissent de vraies «Anomalies», celle du prix Goncourt 2020.

Comment (8)

    Anonyme
    31 janvier 2021 - 12 h 08 min

    J’ai bien aimé Med Larbi Merhoum disant « Le litre d’eau minérale de Lalla Khadija était devenu, vers la fin de l’année 2019, plus rentable qu’un litre de pétrole »

    Belveder
    31 janvier 2021 - 11 h 43 min

    Chawki Amari grande plume et grande Modéstie un Sacré bonhomme qui est resté tout Le Temps en Algerie malgré le climat de Peur de menaces et de Censure..salut l Artiste.

    akika
    31 janvier 2021 - 9 h 28 min

    Les lectrices et lecteurs qui veulent lire les textes des auteurs, on peut les télécharger gratuitement :
    http://library.fes.de/pdf-files/bueros/algerien/17243.pdf.
    bonne lecture

    Anonyme
    30 janvier 2021 - 22 h 26 min

    Pourquoi se focalise-t-on sur le passé et tourner le dos à l’avenir, se demande Salah Badis (écrivain/journaliste)?
    Parce qu’une voiture est équipée d’un rétroviseur, et même quand tu roules, tu y jettes un coup d’oeil pour que les chauffards ne viennent pas te rentrer dedans volontairement.

      UN AUTRE ANONYME .
      31 janvier 2021 - 4 h 15 min

      Simple et percutant … Merci , a toi Anonyme .

      Elephant Man
      31 janvier 2021 - 13 h 01 min

      @Anonyme
      Commentaire perspicace et d’une érudition sans pareil.

      Anonyme
      31 janvier 2021 - 14 h 44 min

      A mon avis ce serait plutôt celui qui vient vers toi qui serait le plus dangereux. Toutefois à force de regarder en arrière, on risque de se tromper de routes et de ne pas voir les panneaux de signalisation, en particulier ceux qui indiquent « sens interdit » et « voie sans issue ».

      Anonyme
      31 janvier 2021 - 19 h 36 min

      Une voiture se conduit d’abord en regardant devant. Si on concentre trop sur le rétro on va dans le mur…

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