L’Algérie en 2022 : une nouvelle amorce pour un développement structuré ?
Une contribution de Ferid Racim Chikhi(*) – Jamais, au cours des deux dernières décennies, l’ex-président de la République n’a tenu autant de réunions de son Conseil des ministres comme le fait Abdelmadjid Tebboune depuis son investiture. Les dossiers sensibles qui y sont examinés montrent l’implication du gouvernement pour trouver des réponses aux questions posées depuis fort longtemps. Même si des détracteurs – fort nombreux et perfides – agissent ouvertement pour réduire à zéro les résultats atteints depuis plus d’une année.
Des problèmes, une résilience et une force tranquille
Du déficit en matière de communication avec des médias lourds obsolètes et auxquels une attention particulière devrait être accordée pour les sortir de leur torpeur alors que les technologies de l’information sont omniprésentes, aux multiples incertitudes générées par les variants du Covid-19, en passant par les dérives de la justice et les fractures qu’elle crée au sein de la population il y a de quoi se questionner sur le pouvoir des gouvernants sur certaines organisations nationales.
Les fléaux comme la bureaucratie, des décisions de justice qualifiées de déraisonnables par le commun des mortels, les problèmes que rencontrent le citoyen dans sa vie de tous les jours, l’influence abusive de l’administration, etc. ne se résolvent pas sans de grands coups de pied dans la fourmilière. Alors reprenons, février est déjà là et l’année 2022 est bien entamée. L’Algérie fait face à des défis gigantesques dans bien des domaines d’activités, y compris ces attaques venant de l’extérieur qui confirment la fameuse «main de l’étranger». Pourtant, l’un de ces défis majeurs reste celui de l’individu dans toutes ses dimensions et dans tout ce qu’il entreprend et, surtout, dans sa vision de l’avenir. L’Algérien, face à toutes les incertitudes, use de son fatalisme imaginaire. Il y aussi la posture incontournable que l’Algérien s’est cloitré depuis fort longtemps dans une attitude de résistant et d’opposant paisible et prudent.
Dans l’histoire contemporaine, depuis l’invasion française, ce n’est que tardivement qu’il a laissé sa force intérieure s’exprimer d’abord face à l’oppression et au mépris du colonisateur, ensuite contre l’hydre islamiste durant les années «1990». Il a fini très difficilement par s’en libérer. Mais les stigmates sont encore apparents. Au cours des deux dernières décennies, son opposition tranquille et stoïque, alors qu’il subissait les dérives d’une gouvernance corrompue, il a encore une fois privilégié sa posture pourtant révolue en accusant les contrecoups de la fatalité, refusant toute forme nouvelle de diktat. Il est vrai qu’il a pris comme une seconde habitude de patienter longtemps avant d’agir. Pourtant, cette action collective a souvent été qualifiée d’impulsivité. Qu’elle soit légendaire ou manipulée et finement orchestrée, l’Algérien a toujours fini par marcher en ordre pour dire «barakat !» (ça suffit). Sa capacité de résilience est à examiner en profondeur. C’est sa force tranquille.
De leur côté, les gouvernants disent qu’ils agissent selon les intérêts du peuple, mais le peuple tenant compte de son expérience récente n’est pas sûr de leurs intentions. Certes, une nouvelle constitution, de nouvelles institutions, une organisation gouvernementale réparée, un nouveau programme de charges nationales, une remise en fonction d’institutions avec des missions bien définies … De nouveaux visages (à quelques exceptions près), une dynamique nouvelle sont mis sur la table et il ne reste plus que la mise au travail de tous.
Le président Tebboune a hérité d’une situation parmi les plus désastreuses qu’a connue l’Algérie depuis l’indépendance. Parmi tant d’autres indicateurs, ceux de l’économie avec leurs effets sur toute la société ; une indigence éducationnelle sans avenir complétée par des contours culturels et artistiques loin de refléter les composantes de la société dans son entièreté ; des dérives architecturales et urbanistiques qui défient le rationnel et l’intégrité mentale et physique des individus. A cela s’ajoutent les pires des fléaux que sont les concussions, la corruption généralisée, les escroqueries, les forfaitures, les malversations, qui ne sont plus à inventorier. Leurs effets sur la société sont devenus presqu’invisibles mais ils restent dévastateurs.
Il y a, certes, la manne pétrolière et gazière ainsi que les richesses minérales qui contrebalancent certains déficits ; cependant, tout le monde sait que celles-ci ne sont pas durables et qu’elles se réduisent au fur et à mesure que le temps passe et que des énergies renouvelables apparaissent sur le marché mondial.
Les détracteurs sont nombreux et perfides
Partant de ces quelques défis à relever, il y a ceux majeurs de la mise à niveau pour ne pas dire la réforme en profondeur des deux secteurs que sont l’éducation nationale et la santé. Pour l’éducation nationale, qui forme les citoyens de demain, elle exige une refonte draconienne des contenus enseignés, la révision de la formation des enseignants et la mise à niveau des infrastructures. Il y a de quoi s’occuper pendant une décennie. Pour le secteur de la santé dans toute sa diversité, que ce soit l’accès aux soins des usagers, les équipements et la logistique des hôpitaux et des cliniques, la formation des médecins, des paramédicaux (infirmiers, préposés, etc.) ou encore celle des gestionnaires, la nécessité d’un plan spécial dynamique et orienté sur les personnes devrait être mis sur la table. Ces deux indicateurs ne vont pas sans l’emploi de tous les potentiels humains de l’Algérie.
Le développement des régions est un autre secteur qui mérite une attention très spéciale, que ce soit en matière d’infrastructures routières, d’agriculture et d’industrie (formations et emplois) qui, à n’en point douter, ont été délaissées durant les vingt dernières années et les déficits en développement et en bien-être des populations ont été augmentés. Un réaménagement des régions ou une remise à niveau est un axe de travail aussi sensible que le reste des activités nationales.
La bureaucratie ?
Lorsque le médiateur de la République livre son compte rendu au Conseil des ministres et signale que 679 projets d’investissement sur un total de 877 ont été libérés mais ne dit rien au sujet des auteurs de ces blocages, je me questionne. Ont-ils été virés ou affectés à d’autres fonctions où ils vont encore sévir ? C’est dire que rendre la confiance aux citoyens, c’est surtout leur offrir des services publics rapides, sans ambiguïtés et, surtout, crédibles par leur contenu et leur portée. Malheureusement, de nos jours comme hier, ce n’est point le cas en raison de la bureaucratie érigée en modèle de gestion et à l’évidence rendue incontournable par certains clercs au service de l’anarchie, du désordre par une incompétence collective savamment entretenue par des filous et autres escrocs.
Personne n’ignore que sans l’interventionnisme ambiant, il est quasiment impossible d’avoir des réponses appropriées à des questions pourtant très simples. La «protection» d’un puissant du moment, le clientélisme, le régionalisme, le népotisme, toutes ces calamités qui ont depuis longtemps «droit de cité» perdurent, et ni le président de la République ni le Premier ministre et encore moins le ministre de l’Intérieur ne regardent de ce côté-là.
Le gouvernement, sur le plan stratégique et macro-organisationnel, œuvre à la mise en place d’institutions, de lois et les règlements attendus par le citoyen mais il a aussi le devoir de lever avec diligence, pourquoi pas au cas par cas, les contraintes que rencontre ce même citoyen lorsqu’il s’adresse à l’administration publique, aux entreprises et aux agences d’Etat et par extension à tout ce qui le concerne de près ou de loin en matière de droits. Si les passe-droits perdurent, c’est que le message ne passe pas.
Justice ?
Un autre pont qui vit des paradoxes incommensurables. Celui de la justice qui défraye la chronique, et pour cause ! D’une part, la lenteur pour la rendre fait partie de mœurs depuis des décennies et, d’autre part, la corruption est à l’évidence le pilier qui encadre les décisions de bien des magistrats. Les dérives et les dépassements sont légion et l’impunité devient légendaire. Ne dit-on pas que la corruption cache l’incompétence ? Bien des détentions exécutées sur ordre et ailleurs que dans les cours de justice en font foi. Elles touchent des citoyens pourtant avisés parce qu’ils ont usé de leurs droits et libertés d’expression. Là, ce qui est confirmé, c’est que la justice est injuste !? Récemment, nous avons vu que le gouvernement a accordé un grand intérêt au système judiciaire puisqu’il envisage sa «modernisation». Pourtant, selon des observations singulières, la modernisation ne saurait se projeter si la refonte de ses rouages, les profils de ses multiples intervenants et leur indépendance dans le cadre de la loi ne sont pas, eux aussi, revisités.
Si nous regardons de près le profil des magistrats (juges, procureurs et greffiers), tout le monde est d’accord pour qualifier leurs connaissances comme étant insuffisantes, que ce soit en matière de codes (civil, pénal, etc.) et, le pire, c’est leur méconnaissance en matière de doctrines (réflexions et autres analyses commises par des spécialistes (professeurs, analystes, etc.) du domaine. Pour les défenseurs, avocats et autres auxiliaires, il ne suffit pas d’avoir fait des études en droit, d’être membres du barreau… pour devenir, du jour au lendemain, compétent et performant. Les peines par sursis ou fermes paraissent arbitraires au commun des mortels et occultent les possibilités de libérations et, pourquoi pas, de dédommagements pour les préjudices causés.
Les cas des détenus d’opinion en sont une excellente illustration. Les dossiers sont vides, crient des défenseurs, en levant les bras au ciel mais rien ne montre la solidité des arguments présentés aux juges. Mieux encore, jamais, au grand jamais, l’un de ces avocats n’a parlé d’enquêtes ou du travail de préparation de ses clients avant les audiences pour mieux apprécier le contenu des dossiers constitués par les procureurs et les enquêteurs. Alors, faut-il s’étonner des décisions souvent controversées des juges ?
Des cadres de référence, des codes, des valeurs, de l’éthique et…
Pour conclure, disons que ce soit pour les menaces contre la réémergence de l’Algérie sur la scène régionale et internationale, l’amélioration des procédures de gouvernance, la gestion économique et industrielle et leurs répercussions sur tous les espaces sociaux, les actions culturelles et celles qui consolident l’identité, tout est sujet à polémique, d’où la défiance des citoyens à l’endroit de la chose publique. Alors, quels pourraient être les moyens et les voies pour y remédier ? Le programme présidentiel est, certes, ambitieux mais, comme déjà dit précédemment, il recèle bien des lacunes malgré la bonne volonté mise à l’entreprendre. L’une d’entre elles réside dans la distance qui existe entre les représentants du peuple, les gouvernants, tous niveaux de responsabilité confondus, et la population ; cela s’observe aussi dans la supervision (les dirigeants) et les opérationnels du terrain qui doivent le mettre en pratique. Des déviations et un non-respect de ce que le gouvernement demande comme réactivité en matière de communication avec le public, etc. sont pris à la légère et l’attentisme des agents publics en fait foi.
Pour contrer ce dysfonctionnement, il est nécessaire que les mentalités changent. Tout le monde est en accord avec ce principe de base. Mais comment procéder ? Ce qui manque, c’est, entre autres, des valeurs partagées pour la mise au travail de tous. Cela peut s’opérer par l’introduction d’un code d’éthique pour toutes les institutions publiques ainsi qu’élues ; un code de déontologie imposé à tous. Ces codes doivent aussi être à la portée de tous, y compris le simple citoyen. Pour l’heure, la création des structures d’inspection, la remise en activité de la Cour des comptes, les ajustements du CNES, etc. ne suffisent pas. Il faut souligner que les codes précités doivent amener le citoyen à y adhérer mais aussi à les faire respecter.
Ceux qui y dérogent comme les auteurs des blocages des projets d’investissements signalés plus haut ont-ils été sanctionnés pour redonner confiance au citoyen ? C’est avec un cadre de référence bien construit que le citoyen finira par se discipliner et n’hésitera plus à s’impliquer pour devenir lui-même un agent du changement. Sans quoi, les meilleures politiques sur le papier n’aboutiront à rien.
F. R.-C.
(*) Analyste Senior German
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