Migrants subsahariens : Maroc, Tunisie et Mauritanie dans le collimateur de l’UE
Par Kamel M. – Le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie font l’objet d’une «grande attention» de la part de l’Union européenne, qui craint que l’aide conséquente qu’elle accorde à ces trois pays pour lutter contre la migration clandestine «soit utilisée pour des pratiques illégales et des violations répétées des droits humains». C’est ce que constate Lighthouse Reports, un consortium de journalistes internationaux, qui a enquêté sur ce dossier complexe et qui fait remarquer que l’Europe «soutient, finance et participe directement à des opérations clandestines dans les pays d’Afrique du Nord visant à déverser chaque année des dizaines de milliers de Noirs dans le désert ou dans des zones reculées pour les empêcher de venir dans l’UE».
«Les fonds destinés à ces décharges désertiques ont été versés sous couvert de gestion des migrations, l’UE affirmant que cet argent ne sert pas à soutenir les violations des droits humains contre les communautés d’Afrique subsaharienne en Afrique du Nord», relève Lighthouse Reports, qui précise qu’au cours d’une enquête menée durant une année, «nous révélons que l’Europe finance sciemment et, dans certains cas, est directement impliquée dans des détentions et des expulsions systématiques au profilage racial».
«Nos résultats montrent qu’au Maroc, en Mauritanie et en Tunisie, les réfugiés et les travailleurs migrants, dont certains étaient en route vers l’Europe, ainsi que les personnes ayant un statut légal et des moyens de subsistance établis dans ces pays, sont appréhendés en fonction de la couleur de leur peau, chargés dans des bus et conduits au milieu de nulle part, dans des zones désertiques souvent arides», révèle le consortium de journalistes. Ces migrants sont abandonnés sans aucune assistance, sans eau ni nourriture, les exposant au risque d’enlèvement, d’extorsion, de torture, de violence sexuelle et, dans le pire des cas, de mort. «D’autres sont emmenés dans les zones frontalières où ils seraient vendus par les autorités à des trafiquants d’êtres humains et à des gangs qui les torturent contre rançon», alerte-t-on.
C’est surtout au Maroc que le délit de faciès est commis de façon systématique. «Un citoyen américain a été arrêté par des policiers en civil à quelques mètres de son domicile à Rabat. Il se souvient avoir montré son permis de conduire américain et proposé de récupérer son passeport depuis son appartement, mais le policier l’a menotté et poussé à l’arrière d’une camionnette», rapporte Lighthouse Reports, qui ajoute que la victime a été emmenée dans un commissariat de police où une quarantaine d’hommes noirs étaient entassés dans une pièce sale avec des toilettes cassées. D’autres témoignages accablants sont également rapportés par les enquêteurs.
Les journalistes du Monde, de Der Spiegel, du Washington Post et d’El-Pais, entre autres, qui ont enquêté sur le terrain, ont pu obtenir des documents confidentiels, dont un de l’agence européenne des frontières (Frontex), indiquant que le Maroc pratique le profilage racial et relocalisait de force principalement des migrants noirs et que l’UE finance directement les forces auxiliaires paramilitaires marocaines.
En Tunisie, on apprend que des dizaines d’Africains subsahariens ont été emmenés dans une zone désertique proche de la frontière algérienne et sommés de marcher vers l’Algérie. En Mauritanie, les journalistes affirment avoir observé un centre de détention dans la capitale Nouakchott et y avoir vu des réfugiés et des migrants amenés au centre dans un gros camion et des policiers espagnols entrant régulièrement dans ce lieu. «Nous avons filmé un bus blanc avec des migrants à bord qui quittait le centre de détention en direction de la frontière avec le Mali, une zone de guerre active», notent-ils.
Lighthouse Reports, qui a fait parler des membres «actuels et anciens» du personnel de l’UE, ainsi que des sources au sein des forces de police nationales et des organisations internationales présentes dans les pays où les décharges ont lieu, indique avoir établi que l’UE «est bien au courant de ces opérations et qu’elle est parfois directement impliquée».
K. M.
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