Contribution de Youcef Benzatat – Officialisation de tamazight : calculs politiciens désespérés
Aujourd’hui, en Algérie, nous vivons une étape décisive de notre histoire contemporaine. La dictature craquelle de partout et le consensus inébranlable qui faisait autrefois sa force est entré dans un processus d’implosion irréversible. Il ne passe pas un jour sans que les effets de cette implosion ne viennent éclabousser l’espace médiatique en des déballages d’une violence jamais observée depuis notre accès à l’indépendance, ou chaque acteur essaye de tirer la couverture à son avantage pour sauver sa peau. On ne peut prévoir quand adviendra l’effondrement de ce temps inique, mais tout ce que l’on sait, c’est que le compte à rebours a bel et bien commencé. Le moment venu, les peuples qui vivent dans cet espace civilisationnel millénaire de la rive sud de la Méditerranée, comme pour le nôtre, après avoir disqualifié cette dernière forme de domination stérile, seront contraints à imposer à eux-mêmes un mode de vivre ensemble basé sur la liberté, la justice et l’excellence dans la vie sociale, économique et culturelle. En Algérie, le noyau dur de ces dictateurs, dans leur agonie, qui entendent s’accrocher le plus longtemps possible à leurs privilèges, en espérant repousser le plus loin possible le moment fatidique de leur anéantissement, multiplie tous azimuts des décisions spectaculaires désespérées. L’officialisation à grande pompe de la langue tamazight dans le nouveau projet de Constitution, sans l’inscrire dans une conception pragmatique globale de refondation de la question identitaire et du problème des langues, s’inscrit en droite ligne dans une stratégie de leurre désespérée. Comme l’a été durant les années écoulées la redistribution de la rente, sans avoir voulu amorcer un processus de production de richesses substituable à la dépendance des hydrocarbures. Si le recours à celle-ci parvenait à acheter la paix sociale devant une population en ébullition, prête à prendre d’assaut la rue pour exprimer un malaise social profond et en découdre, l’officialisation de tamazight apparaît d’emblée comme obéissant à la même stratégie de manipulation. Par cette officialisation précipitée, du moins surprenante, nos dictateurs semblent vouloir neutraliser les ardeurs des militants pour la démocratie parmi les plus actifs et donc les plus menaçants, dont la motivation première de leur combat se confond justement avec la revendication de l’officialisation de tamazight, notamment en Kabylie. Contrairement aux autres régions du vaste territoire national, c’est en Kabylie que la survivance du tamazight est la plus sensible, et donc la plus mobilisatrice, alors qu’ailleurs les populations sont ravagées par une dépolitisation morbide. D’autant que la revendication de l’officialisation de tamazight avait pris ces dernières années une dimension internationale, notamment à l’échelle de l’Afrique du Nord, et dont les échos parviennent aux quatre coins du monde, en poussant ses militants jusqu’à la tentation de la partition du territoire national. C’est en partie pour faire face à la propagande de cette posture de victimisation devant l’opinion internationale que nos dictateurs se sont empressés aussi, dans ces calculs politiciens, à officialiser tamazight. Il faut admettre que la langue tamazight n’est pas revendiquée par l’ensemble de la population algérienne, mais seulement par des groupes ethniques éparses, parmi lesquels les Kabyles, les Mozabites, les Touareg chez qui des variantes locales de la langue tamazight continuent à survivre. Ce sont généralement des groupes ethniques repliés sur eux-mêmes, qui revendiquent une pureté identitaire et linguistique amazighe, en tournant le dos à la réalité algérienne dans sa composante multiculturelle et multiethnique et les processus millénaires de métissage qui sont venus enrichir sa composante humaine et son parler populaire, forgé à partir de la matrice de base qu’est tamazight. Sous l’appellation de derja,la langue parlée des Algériens sur toute l’étendue du territoire est une langue vivante, qui sait se récréer et s’adapter pragmatiquement au vertigineux développement de l’humanité sous l’injonction de la mondialisation économique et culturelle. Elle est la langue par laquelle les Algériens organisent leur vécu au quotidien et assument leurs relations, aussi bien sociales, économiques que pratiques. Elle est surtout la langue de transmission culturelle maternelle de la majorité des Algériens, que la langue arabe, après un demi-siècle de gavage forcé, aussi bien à l’école qu’a l’administration, n’a pas pu supplanter. Devant cette évidence, tamazight est condamnée à subir le même sort. Car dans les défis de l’Algérie de demain, débarrassée des démons de la dictature et de l’immobilisme, jalouse de son intégration dans la contemporanéité du monde et arrimée à sa course effrénée de développement, la derjaserait pour elle le vecteur vital pour amorcer une dynamique de communication à même de lui permettre de prendre le train en marche de la façon la plus pragmatique qui convient. Cette intégration ne peut se faire sans intégrer les valeurs universellement partagées, celles de citoyenneté, de droits humains, de liberté de conscience et de laïcité. C’est dans cette perspective que les langues auront chacune un rôle adéquat à jouer.
Youcef Benzatat