Le double jeu de Médecins sans frontières (II)

Par S. Bensmail – Au printemps de chaque année, de très nombreux établissements scolaires de l’Hexagone font courir des centaines de milliers d’’écoliers, de collégiens et de lycéens lors de la sacro-sainte «Journée contre la faim» de cette même Action contre la faim. Dans l’un d’entre eux, à Nanterre, ville de la banlieue parisienne – dont les élèves, majoritairement issus de l’immigration, perçoivent bien le grand écart entre la devise républicaine «Liberté – Egalité – Fraternité» et la réalité de leur vie quotidienne –, des professeurs s’étaient indignés quand l’une de leurs collègues, proche de la retraite, osa leur rappeler, à propos des objectifs d’ACF, que «la pauvreté n’était pas seulement le lot de l’Afrique ou d’Haïti, mais de la France également». C’est dire le formatage et l’ignorance de la réalité sociale dans laquelle se trouve en général la catégorie (déclassée et idéologisée) des professeurs de l’éducation nationale – catégorie pourtant chargée de former les «citoyens de demain» – cette expression si chère au politiquement correct.

Mes amis professeurs de l’enseignement du secondaire me l’ont confirmé : lors de cette «course contre la faim» à laquelle les élèves comme le personnel sont sommés de participer sous peine d’exclusion du ban, dans un idéal sublimé des «droits de l’Homme», tout le monde court… pour le plus grand bonheur de ce nouveau catéchisme : l’humanitaire laïque au service de la finance et de la géopolitique.

Voyons en bref le curriculum vitae de la présidente d’Action contre la faim, tel qu’il est mentionné dans l’une de ses présentations :

«Après un parcours sans faute dans le monde de la finance – ESSEC puis Goldman Sachs, Lazard, JP Morgan – Stéphanie Rivoal décide en 2003 de prendre un nouveau départ en s’investissant dans la photographie, puis l’associatif et l’humanitaire.»[1]

Le double jeu des institutions financières au service du grand capital et de l’ultralibéralisme est clair. Lors de l’opération de Goldman Sachs, qui a maquillé les comptes de la Grèce pour lui permettre d’entrer dans l’Union européenne, cette banque n’a pas hésité à se retourner contre son client pour le plonger dans une crise économique sans précédent dans son histoire[2], à engranger des bénéfices importants, tout en appliquant le credo habituel : privatiser l’argent public et socialiser la dette privée, ou, pour le dire autrement, financiariser la dette sociale.

Dans son enquête extrêmement fouillée et à partir, entre autres, d’une déclaration du directeur exécutif de MSF, Stephen Cornish, ce même Brandon Turbeville en déduit que «l’organisation financée par Wall Street fournit un soutien aux militants armés et financés par l’Occident et ses alliés régionaux, dont la plupart se sont révélés être des combattants étrangers, affiliés ou appartenant directement à Al-Qaïda et à son aile politique de facto, les Frères musulmans. Cette soi-disant organisation humanitaire internationale est en réalité un autre rouage de la machine militaire secrète tournée contre la Syrie et joue le rôle d’un bataillon médical».[3]

Retour sur le rôle de MSF aux côtés des groupes terroristes

Brandon Turbeville poursuit :

«Dans une interview révélatrice à NPR, que Cartalucci cite partiellement dans son propre article, ‘‘le directeur exécutif de MSF, Stephen Cornish, a admis que l’organisation apportait une aide importante aux escadrons de la mort ; pas seulement un traitement basé sur un serment d’Hippocrate impartial, mais ce qui semble être un programme basé chez les rebelles.»[4]

Rappelons-nous du coup de gueule du docteur Jacques Bérès[5], chirurgien français engagé volontaire dans quelques missions en Syrie «rebelle», qui, après avoir largement servi (et de son plein gré) à la propagande de «l’opposition modérée»[6], a finalement témoigné avoir soigné des blessés terroristes. France Info rapporte alors – et l’on se demande encore comment ! :

«Le chirurgien, cofondateur de Médecins sans frontières, a effectué une mission à Alep, fréquemment bombardée, où il a soigné des combattants. Il a rencontré beaucoup de djihadistes, dont deux Français. Il a été surpris de rencontrer récemment deux Français, ‘‘c’était un peu troublant’’, l’un disait que Mohammed Merah était l’exemple à suivre. Ils disent qu’ils sont là pour l’après-Bachar, pas pour les combats du moment et que leur but, c’est l’émirat mondial et la charia. (…) Parmi les dizaines de blessés que Jacques Bérès a soignés, il confie que la majorité étaient des combattants, ce qui s’explique par la proximité d’Alep avec la ligne de front. Mais ce qui a changé par rapport à ses autres missions, notamment celle de février dernier à Homs, ce sont les profils des combattants, ‘‘la moitié me paraissait être des djihadistes’’, ils avaient ‘‘le bandeau, les versets coraniques, même les voitures qui les amenaient avaient le drapeau d’Al-Qaïda’’.»[7]

Lors de la campagne d’Alep et des mensonges diffusés sans discontinuer par la collusion des médias et des classes politiques occidentales[8], les «attaques d’hôpitaux», attribuées systématiquement au «régime syrien», constituent des crimes de guerre et ouvrent de facto la porte à une intervention de l’Otan et de ses alliés. Ce qui explique l’insistance des médias à les rapporter de manière fallacieuse et propagandiste[9], dans le seul but d’accélérer l’intervention militaire des USA et de leurs alliés (tout en préparant les populations occidentales aux coûts humains et financiers de pareille aventure).

Ecoutons par exemple, depuis Gaziantep, ville frontalière de Turquie, le témoignage de Carlos Francisco, chef de la mission Syrie de MSF :

«Pire situation jamais vécue à Alep (…) bombardements intenses et ininterrompus, (…) les médecins syriens à qui je parle m’ont envoyé des images où l’on voit les victimes soignées à même le sol. (…) Le siège de la ville, qui empêche à toute aide humanitaire d’entrer et (…) l’évacuation des blessés. (…) Par ailleurs, la station qui fournit de l’eau dans l’est d’Alep a été touchée par les bombardements. Près de 250 000 personnes se retrouvent privées d’eau potable.» [10]

Comme le constate justement M.-A. Patrizio :

«Francisco insiste sur les couloirs humanitaires : c’est un des points clé de la contribution de MSF à la campagne. Un des objectifs essentiels aussi d’Ayrault et de ses acolytes de la communauté internationale.

La déclaration est immédiatement et abondamment reprise par les médias sous le titre (généralement) : «Carlos Francisco (MSF) : à Alep, “on voit les victimes soignées à même le sol”.»

Mais Francisco n’aurait-il pas communiqué les images qu’il a reçues ? La seule image illustrant dans la presse la déclaration de MSF est celle d’un camion en flammes derrière un homme debout qui traverse une rue. Non localisée.

Et la photo ne vient pas des «médecins à qui (Francisco) parle», mais d’Ameer Alhabi, «photographe freelance à Alep» et correspondant de fraîche date de l’AFP à Alep-Est. Toutes les photos d’Alhabi qu’on peut, en suivant le conseil de Power, trouver «sur internet» sont faites exclusivement dans des zones «rebelles». Photographe modérément indépendant.»[11]

En ces temps troubles, où le travail devient une denrée rare, où les tensions et les comportements violents ou irrationnels s’exacerbent, avec le repli des uns et des autres, qui a le temps de lire, de vérifier, de croiser les informations pour, enfin, échanger avec les autres ; le temps de démêler le vrai du faux, en refusant de se voir imposer les représentations et les explications médiatiques de ce terrible conflit ?

Journaliste indépendante connue pour avoir démonté à plusieurs reprises la mécanique de cette propagande et les tentatives de discrédit qui frappe tout professionnel d’investigation insoumis (notamment à l’ONU, lors d’une rencontre autour de la Syrie retransmise par Russia Today), Eva Bartlett relève :

«Sans surprise, au lieu de rapporter ces exemples documentés de terroristes (qui se filment eux-mêmes) attaquant des hôpitaux syriens, les médias commerciaux et les groupes propagandistes des droits de l’Homme remplissent les premières pages et les écrans de télévision avec des accusations bruyantes que l’armée syrienne et/ou les Russes ont bombardé un prétendu hôpital de MSF à Alep».[12]

S. Bensmail

(Suivra)

 


[3] cf. http://landdestroyer.blogspot.fr/2013/03/us-british-al-qaeda-airlift-3000-tons.html

[4] Ibid

[5] Par ailleurs cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, selon sa fiche Wikipédia. Voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=eTjuWpWgLaM ou là : http://www.dailymotion.com/video/xtdvkk

[6] Dans «Syrie : des scientifiques allemands démasquent les positions des médias mainstream» : «Les scientifiques sont extrêmement étonnés par le fait que les médias mainstream non seulement ne critiquent pas, mais ne disent pas un seul mot sur la politique ‘‘fatale de renversement de régimes au Proche et Moyen-Orient menée par les Etats-Unis’’. Et pourtant, les ‘‘Etats manqué’’», terreaux fertiles pour le terrorisme et principale source du flux de migrants vers l’Europe, sont les conséquences de la politique de Washington. En conclusion, les auteurs du rapport se disent préoccupés par l’émergence d’‘‘une nouvelle guerre froide entre l’Occident et la Russie’’ et exhortent toutes les institutions civiles à prendre part au débat politique et main dans la main avec les partisans du pacifisme à préconiser des moyens de prévention des conflits et des guerres.» https://fr.sputniknews.com/international/201701271029822007-syrie-experts-allemands-rapport-medias/

[8] Propagande dénoncée clairement notamment par Eric Dénécé, patron du Centre français du renseignement (CFR), le 21 décembre dernier sur LCI (face au journaliste Y. Calvi subitement impuissant)

[9] Comme sont relayés d’ailleurs les quelques cailloux de «casseurs» (pour qui roulent-ils vraiment ?) lors, l’an dernier, de la manifestation contre la «loi Travail» face à l’hôpital pour enfants, du nom de Necker. Des «casseurs providentiels», comme l’expliquent plusieurs observateurs. Il suffit de comparer le coût de ces dégâts : quelques centaines d’euros pour remplacement des 15 vitres brisées aux millions, que dis-je, aux dizaines de millions d’euros sciemment amputés du budget de la santé et de l’assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) en particulier. L’immense majorité des lecteurs – spectateurs (sous hypnose de la messe du JT) s’indignent devant ces baies vitrées cassées, mais oublient la casse générale et autrement plus dramatique des services publics – qu’ils paient déjà au propre comme au figuré, et l’obligation faite aux hôpitaux publics de s’endetter auprès des banques privées, le plus souvent sur des montages toxiques… Lire http://rue89.nouvelobs.com/2016/06/15/pretexte-providentiel-lenfant-les-casseurs-lhopital-264352

[10] Marie-Ange Patrizio, «De MSF au Conseil de sécurité, la campagne ‘‘crimes de guerre à Alep-Est’’» Marseille, 9 décembre 2016. https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8h/alep-nouveau-guernica-en-syrie

[11] Ibid

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