Que vivent encore Larbi Ben Mhidi et Abane Ramdane !
Par Kaddour Naïmi – On a beaucoup écrit à propos de la Révolution algérienne, notamment du moment où elle fut dévoyée et le peuple trahi par la déviation des buts légitimes de son combat anticolonial, qui était, également − certains l’occultent pour des motifs évidents − social, démocratique et populaire. Un ami, Mohamed R., m’a envoyé un texte. Vu l’importance de son contenu et de son auteur, le voici in extenso (les italiques sont les miens).
Objectifs fondamentaux de notre Révolution
«La révolution du 1er Novembre 1954, sous l’égide du FLN et de l’ALN est l’expression d’une volonté populaire irrésistible pour la liberté et l’indépendance.
«Le peuple algérien reprend une autre fois les armes pour chasser l’occupant impérialiste, pour se donner comme forme de gouvernement une république démocratique et sociale, pour un système socialiste comportant notamment des réformes agraires profondes et révolutionnaires, pour une vie morale et matérielle décente, pour la paix au Maghreb.
«Le peuple algérien est fermement décidé, compte tenu de ses déboires et de ses expériences passées, à se débarrasser à jamais de tout culte de la personne et le messalisme en est une des formes les plus primitives, les plus réactionnaires, les plus dégradantes.
«Le peuple algérien est résolu à faire de la direction collective dans un centralisme démocratique la loi qui régira désormais dans la discipline chacun et tous, du FLN l’outil qui cimentera l’unité de la nation algérienne, de bâtir un avenir florissant pour tous les Algériens et Algériennes dans l’égalité et la justice.
«Le peuple algérien, dans sa lutte de libération nationale et d’émancipation, compte sur le soutien indéfectible des peuples frères maghrébins, sur la solidarité agissante des Arabes, sur l’amitié des Afro-Asiens, sur la sympathie du peuple français, des démocrates et progressistes du monde.
«La victoire des peuples maghrébins consacrant l’égalité de tous leurs enfants sans distinction aucune si ce n’est le mérite est un facteur puissant d’équilibre et de paix dans le Bassin méditerranéen.
«Cette victoire permettra d’établir des alliances solides notamment avec le peuple français dans sa lutte contre le fascisme et pour la démocratie, et en plus elle sera un rempart puissant anti-impérialiste en Afrique.
«La nation algérienne, sous l’égide éclairés des glorieux ALN et ALN, poursuivra victorieusement sa marche, pour l’indépendance nationale, pour détruire à jamais le colonialisme rétrograde et faire triompher les libertés humaines dans l’équité et la fraternité universelle.»
Ce texte fut publié fin juillet 1956, dans le n°2 d’El Moudjahid, alors organe du FLN, circulant clandestinement à Alger. L’auteur de l’article était âgé de 34 ans, dirigeait la zone V (future wilaya) comprenant le département d’Oran et se préparait à participer au congrès du Front de libération national dont il fut l’un des membres fondateurs en octobre 1954. Le nom de cet auteur : Larbi Ben Mhidi.
Et le Congrès de la Soumman put se réunir et produire un document fondamental.
La contre-révolution
Juste après la rencontre stratégique de la Soumman, ses deux inspirateurs principaux furent assassinés. Larbi Ben Mhidi fut découvert, «par hasard» dit-on, par l’armée française, à Alger, emprisonné puis exécuté sans jugement par les sbires de cette armée coloniale.
Le second inspirateur du Congrès de la Soumman, lui, fut emprisonné puis exécuté par ses propres «frères» d’armes, qui se trouvaient, alors, à la frontière ouest de l’Algérie, au Maroc. Le nom de la victime : Abane Ramdane.
Ces deux assassinats marquèrent le tournant stratégique de la Guerre de Lbération nationale. Ses objectifs sociaux, démocratiques et populaires, furent abolis avec l’assassinat de leurs deux inspirateurs principaux. L’époque sinistre de la terreur commença contre le peuple et ses authentiques défenseurs. De cette dictature oligarchique nouvelle, l’infâme principe de base devint celui exposé par Machiavel : Qu’ils me détestent, pourvu qu’ils me craignent ; à ce principe, fut ajoutée l’hypocrite imposture de prétendre défendre la «révolution» et le «peuple».
Le rejet de l’orientation démocratique du Congrès de la Soumman de 1956 se manifesta au grand jour par le coup d’Etat militaire de 1962. Depuis lors, on connaît le reste : il fut la suite logique de la trahison des intérêts du peuple, défendus par la Charte de la Soumman, par une oligarchie recourant à la dictature, basée sur la violence militaire. Cette oligarchie s’était constituée à l’extérieur du pays, à l’abri au Maroc, tandis que les combattants de l’intérieur manquaient tragiquement de matériel pour résister à l’armada militaire colonialiste.
C’est ainsi qu’à l’été 1962, les combattants de l’intérieur qui résistèrent à la dictature oligarchique inédite furent vaincus, militairement, par l’armée dite des «frontières». Ses dirigeants ont construit un Etat et des institutions servant leurs intérêts, masqués par une propagande démagogique de type «socialisant» (étatique).
Résistances populaires
Bien entendu, le peuple et ses meilleurs éléments politisés résistèrent de toutes les manières possibles à la dictature. Mais elle demeura la plus forte, la plus cruelle, usant de toutes les formes possibles de domination : de la violence directe à l’embrigadement idéologique, y compris clérical.
L’insurrection armée du Front des forces socialistes en 1963, l’opposition de leaders patriotiques à la dictature, tels Mohamed Boudiaf et d’autres, la révolte d’Octobre 1988, abolie dans le sang, celle du mouvement des arches, en 2001, également réprimée dans le sang du peuple, ont fini par aboutir au mouvement surgi en février 2019. Ce dernier, plus que la révolte d’Octobre 1988, d’une autre manière que le mouvement populaire de 2001, semble mieux conscient du lien entre ses revendications légitimes et celles proclamés dans la Charte de la Soumman de 1956. Par conséquent, les manifestants actuels ne feraient-ils pas bien de brandir les portraits non seulement d’autres figures de la lutte anticolonianiste, mais également et d’abord de Larbi Ben Mhidi et de Abane Ramdane ? Ne sont-ils pas les deux premiers symboles représentatifs de l’authentique révolution populaire algérienne, qui avait clairement lié indépendance nationale et libération sociale ? En brandissant les portraits de Larbi Ben Mhidi et de Abane Ramdane, du même coup serait rétablie, finalement, la réelle légitimité révolutionnaire, et dénoncée l’imposture qui en a fait un moyen de s’enrichir sur le dos du peuple algérien par la dictature la plus impitoyable, au besoin sanguinaire.
Comment l’actuelle intifadha (soulèvement) populaire algérienne saurait éviter la contre-révolution qui la menace, sous des formes diverses, extérieures et intérieures, si elle ne parvient pas à se doter de ses authentiques représentants, pour ne pas être récupérée, comme ce fut, est et sera le cas, n’importe où dans le monde, de tout mouvement populaire contestataire manquant de capacité d’auto-organisation ?
K. N. ([email protected] )
(1) Voir http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/04/auto-organisation-ou-l-echec.html
NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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